Tous les Français, tous les érudits, tous les collectionneurs de cartes connaissent ou ont entendu parler des travaux de Cassini et de sa magistrale oeuvre cartographique. Première figuration détaillée de l’ensemble du royaume de France, publiée pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, elle est le fruit de la rencontre entre une dynastie de savants et le soutien du pouvoir royal. Comme en témoignent les archives, c’est également un document dressé suivant les techniques et les méthodes de calcul les plus avancées de cette période, à la fois pour sa géodésie et pour sa topographie. C’est par ailleurs une oeuvre immense par son importance matérielle, l’assemblage de ses 181 feuilles constitue un tableau de plus de onze mètres de largeur sur douze de hauteur. Un véritable monument qui n’aura pas d’équivalent dans le monde pendant plus d’un siècle.
La carte de Cassini – des Cassini devrait-on dire – résulte du travail de quatre générations d’astronomes, de mathématiciens, de topographes, de dessinateurs et de graveurs. « L’affaire » Cassini débute en 1669 avec l’arrivée en France, du grand-père de l’éditeur de la carte, Jean-Dominique Cassini, astronome, invité par Colbert afin d’oeuvrer au sein du tout nouvel Observatoire de Paris. Si la publication a débuté sous Louis XV, c’est bien son illustre arrière grand-père, Louis XIV, en créant l’Académie des sciences, commanditaire des travaux d’astronomie et de géodésie, qui en est à l’origine.
Les premières feuilles ont été publiées en 1756 ; les travaux de terrain, de rédaction et d’édition se sont ensuite poursuivis pendant une trentaine d’années. Au XIXe siècle, la carte de Cassini restera en service jusqu’à l’achèvement de la publication initiale de la carte d’État-major, au milieu des années 1860. Dès lors, classée au rayon des antiquités, elle devient un précieux témoignage de la France préindustrielle. À ce titre, les planches de cuivre, alors conservées par l’Institut géographique national, font l’objet d’une minutieuse restauration au cours des années 1950 et, jusqu’à une période récente, il était possible d’en acquérir de nouveaux tirages.
Nouvelle étape en 2024 avec la publication de l’intégralité des feuilles de la carte de Cassini par Conspiration|Éditions, grandeur nature, rassemblées dans un livre d’exception. Pour cette version, l’éditeur a choisi de reproduire un exemplaire de luxe, celui dit « de la Reine » conservé dans les réserves de la Bibliothèque nationale de France. Cet exemplaire, établi au cours des années 1780, est non seulement un tirage de premier ordre mais également un exemplaire dont la lisibilité a été fortement améliorée par une mise en couleur à la main. Les villes et les bourgs sont lavés en rouge, les bois sont en vert, les principales voies de communication en bistre, les fortes pentes en brun et les eaux en bleu. Ces couleurs confèrent à chaque feuille un relief qui manque à la version en noir et blanc. Cette pièce, unique en son genre, constitue sans aucun doute la plus belle, la plus claire et la meilleure version de cette carte. La qualité de son tirage et de sa colorisation en font un véritable chef-d’oeuvre.
Jean-Luc Arnaud